vendredi 24 mars 2017

La radio est un objet oublié des politiques publiques… (2)

Voilà donc la suite de ce moment où, la Scam ayant réuni les auteurs et quelques professionnels de la profession, s'ouvre un vaste champ d'interrogations et de réflexions sur la radio, ses programmes, ses documentaires, ses auteurs, ses journalistes et quelques ratons-laveurs bien décidés à en être aussi (des auteurs bien sûr)… ! Bizarrement, France Culture n'était pas dans le "tour de table" animé par Laurent Valière (producteur à France Musique). 


"… susciter l'émotion et le rêve de rester notre complice."
Citation d'Alexandre Heraud, producteur radio,
in "Radio : quelle place pour les auteurs"
Scam, septembre 2016



















Pendant une heure quarante, les intervenants (1) vont s'efforcer de répondre à la question "Quelle radio demain ?". Après l'intervention de Martin Ajdari qui a donné lieu à la rédaction de mon billet d'hier, Patrice Gélinet confirme que "la bande FM est saturée" et en profite pour saluer Roland Faure (2) avec qui il avait créé le "club DAB+" (3). Quand à la Radio Numérique Terrestre (RNT), Gélinet rappelle qu'une fréquence RNT peut héberger jusqu'à 13 radios mais que, pour Radio France, l'État n'a toujours pas préempté de fréquences. À quoi ont donc servi les conseillers audiovisuels de l'Élysée ?

Laurence Bloch croyait (et, comme elle, l'ensemble des dirigeants de Radio France) que ce serait les données associées sur le site web de France Inter qui créeraient de nouveaux auditeurs. Hors, elle constate que ce sont les vidéos des humoristes qui font des millions de vues. Elle est convaincue que "La radio rend la télé figée" et a envie de dire aux producteurs "Venez comme vous êtes" [sans le maquillage et tout l'fourbi télévisuel, ndlr]
"Il faut qu'on continue à filmer la radio mais surtout qu'on ne fasse pas de la télé à la place de la radio. Il ne faut pas que la radio fonctionne en fonction de l'image. Point barre". C'est clair. CQFD.

L'humour, n°1 des podcasts de… France Inter 
Sur le podcast, Gélinet dit "il risque de faire disparaitre non pas la radio mais, la notion de chaîne de radio." C'est bien de le dire. 24 heures de podcasts consécutifs ne feront jamais de la radio. Et Bloch de révéler que "Le meilleur podcast ce n'est plus une émission mais le "retravail" sur tous les moments d'humour de la journée. C'est une proposition d'agrégation qui arrive en n°1" (4). On le voit bien ici, l'orientation éditoriale, - produire de l'humour et encore plus d'humour - a absolument influencé les programmes jusqu'à en ponctuer de nombreux, avec de plus en plus d'humoristes.

Ajdari, lui, enfonce le clou, en regrettant "Le manque de renouvellement de l'écriture radiophonique [est patent, ndlr] La tendance n'est pas à une prise de risque." Et Gelinet d'entériner "le recul de la fiction et du documentaire". Si je les relève ici c'est que ce sont des "balises", des "indicateurs de tendance". On ne pourra pas dire "on ne savait pas". Enfin, dans un débat public, des personnalités reconnues de la radio disent haut et fort autre chose que "On a vraiment la meilleure matinale de France", "Nos podcasts ont progressé de 40% ", "Nous avons tout changé et déjà nous constatons…". Des mantras psalmodiés 24/24 sur les rézozozios.


David Christoffel, producteur à Radio France
et directeur de "La radio parfaite"






















"Journalisation" de la radio
Avec un tel mot on touche le sommet du barbarisme, non ? Comment le débatteur a-t-il pu employer un tel mot ? On n'est plus dans l'entre-soi là, on est carrément à la cave ou au fond du trou ! Au-secours fuyons ! Tout ça pour parler des programmes faits par des journalistes vs ceux créés par des producteurs- auteurs ? Et peu importe que ce mot ait été utilisé dans le "Livre blanc" cité, qui a présidé à la rencontre. Il y a des limites à ne pas franchir pour la langue française. Pour Cécile Mégie : "La journalisation je la vis de manière négative et si on décloisonnait ?" (journalistes et producteurs, ndlr) 

Les voix de radio

Bloch veut s'appuyer sur les voix de radio qui ont toujours fait l'identité de France Inter. Et aussi retrouver la force de ces personnalités (elle cite les producteurs les plus emblématiques, Bouteiller, Villers, Chancel) à l'antenne. Rappelle "Le coup d'état, le coup d'éclat, le coup de génie de Veinstein (Alain) qui a créé [en 1978] "Les nuits magnétiques]. Trutat (Alain) "l'Atelier de Création Radiophonique", et d'une certaine façon "Le Pays d'ici" (5). Elle reconnaît aussi : "Sur France Inter je n'ai pas réusssi le doc. La restitution du réel sur une chaine généraliste c'est infiniment plus compliqué… Je n'ai pas trouvé le capitaine du bateau. "Un jour en France" (6) n'était pas aboutie".

Un CNR. CNR ? (Centre National de la Radio)
Très subtile proposition de Loïc Chusseau (Jet FM/Nantes) pour, à l'instar du cinéma (CNC), "créer une structure qui rapprocherait les auteurs des diffuseurs." Comment personne n'y a pensé plus tôt ? Bon, mais maintenant, on fait quoi de cette idée ? On propose à la Scam de "remettre le couvert" en septembre 17, sur ce seul sujet, en invitant le Ministère de la Culture, Radio France, Arte Radio, l'Institut National de l'Audiovisuel… ? Avec dans une très grande salle les auteurs… de toutes tailles. (Oumpff !)


Jean Nohain














Et pour fermer le ban… Lebrun Jean 
L'historien-journaliste-producteur-baroudeur sur les toits de Paris, du temps de Culture-Matin (7) a, dans son intervention, voulu nous "faire toucher du doigt" un certain paradoxe de la modernité. Je la reproduis dans son intégralité pour prendre le temps nécessaire de la réflexion.

"Jamais les moyens d'enregistrement ont été aussi légers, [en poids, pas en terme de choix stratégique "léger" fait aux moyens de production, ndlr]. Tout ce qui est produit [avec ces facilités d'enregistrement, ndlr] n'apparaît pas sur nos chaînes formatées qui penchent toutes vers la plus forte ligne de pente et, finissent par se ressembler les unes les autres. Il y a quand même un contraste dans l'histoire entre : 

La radio passée, qui s'est toujours appuyée sur toutes les innovations technologiques, c'est à dire que quand il y a eu des moyens de projection vers l'extérieur de la radio, - à l'époque héroïque des années trente, ou de Jean Nohain (8), au lendemain de la guerre on était dans les caves de Roquefort pour une pérégrination, sur les ponts de Paris dans les années d'après la Libération - chaque occasion était utilisée. Chaque transformation technique était mise en œuvre, ça donnait les camions-studios. À l'inverse, plus les studios se perfectionnaient, pour essayer d'atteindre une espèce de perfection sonore, plus on s'installait dans les studios pour en utiliser toutes les possibilités,
• [La radio d'aujourd'hui, ndlr] dont on a l'impression que toute la gamme de possibles n'est plus utilisée. N'est utilisé que le format devenu obligé de la convergence numérique et… de la radio visuelle. Un oxymore qui doit provoquer un silence éloquent dans cette salle.

Laurence Bloch lui répondra : "La radio visuelle c'est pas ça qui fait qu'il y a moins de reportage sonore. Si tu veux rendre intéressant ta visite dans la cave de Roquefort il faut vraiment des auteurs derrière. Faisons qu'il y ait une rencontre entre la cave de Roquefort et les auditeurs…" 

Allez, zou ! Prochaine rencontre auteurs-auditeurs-diffuseurs en septembre à Roquefort. Chiche la Scam ?




Bon quant à Pierre Wiehn, ce sera demain. C'est samedi, vous aurez le temps… de lire. Sa très courte intervention est, autant le reflet d'un directeur qui a animé les équipes de France Inter pendant presque toutes les années 70 et, un homme qui a le sens de la radio dans son acception humaine et universelle. De quoi prendre le temps d'en parler.
(À suivre, demain)




(1) Martin Ajdari (directeur général, DGMIC), Laurence Bloch (directrice générale, France Inter), Loïc Chusseau (Jet FM/Nantes), Patrice Gélinet (conseiller, CSA), Cécile Mégie (directrice, Radio France Internationale),
(2) Pdg de Radio France 1986-1989, directeur de l'information de Radio France 1979-1981 (Pdg Jacqueline Baudrier),
(3) Auquel devait aussi être associé Roland Dhordain, "papa" de la radio moderne et de France Inter en 1963. Le DAB + est une norme de radiodiffusion numérique,

(4) Et là on se pince quand on sait, qu'auparavant, c'était "La marche de l'histoire", Jean Lebrun, France Inter, qui était en haut du podium !
(5) Dont elle était productrice à France Culture, puis coordonnatrice .1984-1997,
(6) 2015-2016, Bruno Duvic, 10h-11h,

(7) 1986-1999, France Culture,
(8) Jean Nohain,dit "Jaboune", de son vrai nom Jean-Marie Legrand, animateur (radio et TV) et parolier français, 16 février 1900 à Paris et mort le 25 janvier 1981. 

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