mercredi 4 novembre 2015

Les coulisses de Courchelle…





















Pas facile de rendre compte de l'ouvrage d'un professionnel de la radio qui après moult années in situ à Radio France fait le pari de décrire les coulisses d'un métier, celui de journaliste, mais aussi celui des productrices et producteurs qui ont fait la patte et la renommée de Radio France. Gérard Courchelle vient pour cela de commettre "Les coulisses de la radio" (1).

Je dis "pas facile" car on est toujours un peu surpris que les choix de tel ou tel fassent l'impasse sur quelque chose ou quelqu'un qui nous semble absolument à mettre en exergue. Heureusement Courchelle exerce sa liberté de parole, d'écriture et de choix et en quelques deux-cent-soixante-quatre pages brosse un tableau de l'histoire de la radio publique depuis "l'ère moderne" soit à l'époque de l'inauguration de la maison ronde en décembre 1963.

Le beau livre, à la riche iconographie, préfacé par Jean-Noël Jeanneney (2) va en sept chapitres principaux dérouler la toile de la grande et de la petite histoire d'un média qui se réinvente chaque matin et qui, dans le cas de France Inter, s'est aussi longtemps réinventé la nuit à l'initiative de Roland Dhordain (3) qui avait créé avant tout le monde le concept de 24h/24 (la vie serait bien dure…)

Courchelle commence son propos en faisant référence à Louis Merlin (4) mais sans rappeler que cet illustre personnage a présidé aux destinées de Radio-Luxembourg puis à celles d'Europe n°1 dès sa création en 1955. Pour cette dernière chaîne d'ailleurs Courchelle cite à plusieurs reprises des noms illustres sans que l'on comprenne bien pourquoi cette radio privée s'invite dans l'histoire qu'on croyait être celle de Radio France ?  Ce n'est pas très grave les intéressés apprécieront.


6 janvier 1975, Jacqueline Baudrier, Pdg de Radio France parle aux auditeurs
À gauche : Yves Jaigu (France Culture), J. B.,  Pierre Wiehn (France Inter)
















Courchelle est intéressant quand il s'engage et prend des positions affirmées. Succulent par exemple de lire (p. 20) : "En humiliant le nouveau pouvoir [de Giscard d'Estaing, ndlr] et en paralysant les antennes pendant près d'un mois, un groupe de jeunes techniciens a tué l'ORTF et une conception historique de la radio et de la télévision." Pourtant Courchelle précise bien dans son propos préalable qu'à l'ORTF "des intellectuels mabouls et des soviets de dingues" (4) sont dans le collimateur du pouvoir. Quant à la "conception historique" il semblerait bien qu'elle soit en train de refaire surface en cette fin d'année 2015.

Dans le même esprit son assertion "Aux journalistes souvent mal-aimés, les records d'audience ; aux animateurs chéris par les auditeurs, la popularité" pourrait sûrement s'énoncer dans l'autre sens tant on fait tout aujourd'hui pour que les journalistes soient des vedettes et entrainent avec eux les auditeurs. Et quand les animateurs sont aussi de plus en plus souvent des… journalistes.

Courchelle décrit très bien de l'intérieur le métier de journaliste radio, les journaux, les reportages (5), les envoyés spéciaux, la "cuisine", les ratages et autres faits de gloire. Mais c'est beaucoup "moins vécu" pour ce qu'il a eu l'occasion d'entendre en tant qu'auditeur lui-même. À cet inventaire (d'où il semble bien qu'il ne se soit échappé aucun raton-laveur) on est assez surpris de constater qu'il manque des figures et des voix surtout.


Publicité de 1962
(Sauvagement photographié du livre par moi…)





















On est quand même un peu frustré quand Courchelle détaille l'exercice de la "Revue de presse" mais en passant trop vite sur les "petites histoires" qui ont fait l'histoire de l'exercice. Pourquoi par exemple Ivan Levaï cumulait-il les fonctions de directeur de la rédaction (de toutes les chaînes de Radio France) et celle de présentation de la revue de presse d'Inter (6). Celle d'Inter lui ayant permis d'obtenir beaucoup plus de prestige que lorsqu'il faisait la même chose sur Europe n°1 depuis 1973. Pour la coulisse des rédactions on aurait aimé qu'il nous présente plus de "tacherons" et moins de vedettes. Plus d'ambiances tamisées de la nuit que la lumière crue de la gratification du micro. Même s'il a su aussi "montrer" les journalistes sur le terrain dangereux des conflits.

Il était juste de faire la part belle à Veinstein et son magnétisme nocturne comme de remettre Codou & Garretto au centre du labo de "L'oreille en coin" (7). Courchelle a arpenté ses coulisses, les actuelles. On aurait aimé qu'il "n'oublie pas" de très grandes voix d'Inter, de Culture ou de Musique. L'exercice est difficile et l'exhaustivité impossible. Pour autant Arnaut (Robert), Dominique (Claude), Kriss, Ladouès (Geneviève), Spire (Antoine), Valero (Laurent), Pradel (Jacques), Blanc-Francard (Patrice), Lenoir (Bernard), Foulquier (Jean-Louis), Gerber (Alain), Séloron (Françoise), Jousse (Thierry) auraient été un bon contrepoint à ceux que Courchelle a mis en avant et qui n'ont pas encore tout à fait "fait" la radio. 

Pour conclure je dirais "Fallait-il mettre des visages sur des voix ?". Courchelle a dit sur France Musique les limites de la radio filmée. Les auditeurs radiophiles se passent allègrement de voir ceux qu'ils écoutent. Et puis un regret "éternel", j'aurais bien aimé que Courchelle consacre quelques pages à son aventure avec son alter-ego Philippe Caloni, quand ils ont animé trois ans et demi la matinale de France Inter (1984-1987). 


L'hebdo de l'émission éponyme
qui aura tenu 9 n°…























Courchelle aurait pu conclure son livre par sa très bonne question sur l'avenir de la radio publique (p.29) : "Radio France, entreprise de divertissement mais aussi d'information et de culture, avide de s'adapter aux nouvelles technologies, a-t-elle une chance de survie dans un monde livré à la rentabilité, aux retours sur investissement et à la tyrannie de l'instant ?". CQFD.

(1) Chêne éditions, Radio France, Octobre 2015,
(2) Ex-Pdg de Radio France, 1982-1986,
(3) Directeur de la radio au sein de l'ORTF, initiateur de la "réforme" qui donnera en novembre 1963 leurs noms à Inter, Culture et Musique,
(4) p. 20, in op. cité

(5) J'aimerai bien avoir l'avis de Courchelle sur cette pensée : "L'important dans le , c'est le temps des gens, alors que pour le reportage, c'est le temps du reporter." Luis Ospina
(6) 1989-1996. Nina Sutton, journaliste embauchée par Levaï à la rentrée 89 pour présenter la revue de presse a été débarquée par le même en avril 90 et Levaï de s'auto-nommer pour commencer sa revue de presse le lundi de Pâques…

(7) Pierre Codou (non crédité) apparaît bien page 111 à la droite de Daniel Mermet. 
"L'oreille en coin" : mars 1968-septembre 1990, "Une radio dans la radio" et 13 h de programmes le samedi et le dimanche, et la révélation de tellement de productrices et producteurs,

Le livre propose 20 renvois vers des émissions "cultes". 



Lulu… au 5ème de la Maison de la Radio à l'étage (à l'époque) de l'Ina,
Mermet ne manque pas de signaler l'historique de "Lulu" de Yann Paranthoën (diffusée à France Culture dans les Ateliers de Création radiophonique, le 1er mai 1988)



Nuits magnétiques… bonsoir

2 commentaires:

  1. Merci d'avoir lu et commenté ce livre au titre peu inspiré, mais vendeur, bien que mensonger : on pense bien qu'il ne peut s'agir de n'importe quelles "coulisses" de n'importe quelle "radio".

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    1. Merci Etienne ;-) Voici l'explication de cette réponse tardive https://radiofanch.blogspot.com/2019/09/alerte-quelque-chose-coince-dans-la.html

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