dimanche 4 août 2013

Robert Arnaut… universel







Il y a (malheureusement trop souvent pour les décès) une traînée de poudre qui court dans le tout petit monde de la radio. Vendredi dernier j'étais en écoute concentrée de la Grande Traversée que Michel Pomarède consacre à Elvis à partir de demain sur France Culture. Pas de Twitter, pas de mail, pas de téléphone. 17h30, Guy Senaux s'affiche sur mon portable. Et la nouvelle, cruelle, tombe : Robert Arnaut est décédé la veille. Les échanges opèrent dans le réseau. @KlerviLeCozic, jeune journaliste diplômée, passionnée de radio, incite ses lecteurs à visionner une vidéo : "J'ajouterai aussi ce docu où la vidéo n'enlève rien au charme de la voix de R.Arnaut". J'y cours (voir la vidéo ci-dessous). Claque, chamboulement, émotion, peine. Tout ça. Fallait pas, fallait pas "en plus" de sa voix, voir le bonhomme serein, solide, lucide et visionnaire. Fallait pas ? Mais si il le fallait. Merci Klervi d'avoir trouvé ça.

Après le visionnage, j'envoie un petit mot sur le formulaire "contact" proposé. Réponse expresse. La magie du griot blanc, Robert Arnaut, fonctionne. Il ne nous lâche pas, pas plus qu'on ne sera capable de le lâcher. Jamais. Good vibrations. Le nom de la personne qui signe (l'auteur du documentaire) me surprend. Je connais ce nom. Je m'en souviens instantanément. Je l'ai entendu au cours de nombreuses désannonces sur France Inter : Jean-Yves Casgha. Mais je ne me souviens absolument pas (c'est assez rare) de ce qu'il faisait à la radio (1). S'ensuivent quelques échanges épistolaires à la vitesse de la comète. J'arrive à pénétrer sans encombre le réseau facebook pour y lire l'hommage très émouvant que Casgha lui rend et que vous pourrez lire ci-dessous.

Visionnaire Arnaut ? Voilà ce qu'il dit à Casgha dans les couloirs de la maison de la radio en janvier 1996 : "L'avenir de cette maison [Radio France], je le vois différemment de ce que les autres peuvent le voir. On parle beaucoup en quantités d'auditeurs, d'audimat. Je ne pense pas que ce soit ça l'avenir. Je pense que l'avenir d'un service public d'une maison comme la nôtre qui en a les moyens c'est la qualité. Faire de la qualité que les autres ne peuvent pas faire. C'est comme cela que nous allons nous distinguer."  Je persiste à penser qu'Arnaut avait raison. Viendra bien un jour où cette course folle à un audimat marchand finira par déserter la radio de service public pour mettre en œuvre des mesures de satisfaction et de fidélité qui n'auront absolument rien à voir avec les critères utilisés par une société privée (Médiamétrie) à des fins exclusivement consuméristes.

Puisse la sagesse et la pré-science d'Arnaut finir par toucher le cœur de la radiodiffusion publique.

Le texte de Jean-Yves Casgha publié sur sa page facebook, (avec son autorisation).
"Robert Arnaut vient de nous quitter. Je perds une seconde fois mon père cette année, mon père en radio, mon père en Humanité, mon père en écoute de l'autre, en respect des différences. Un grand monsieur des medias tels qu'ils auraient pu être. Merci Robert, j'aurais tellement aimé que tu me racontes encore une fois, dans ton bureau hors du temps qui recélait la mémoire des Hommes, l'histoire du bananier qui avait poussé sous tes yeux en une seule nuit, aux fins fonds d'une forêt dont les rares habitants n'avaient jamais vu un homme différent d'eux mais qui t'avaient reconnu comme un des leurs. Au point d'accepter, plusieurs années de suite, de confier leur voix à l'étrange appareil qui ne quittait jamais ton épaule, ce gros Nagra si lourd mais si précieux et que tu m'avais si patiemment appris à manipuler...

Toi, l'inventeur de l'ethnologie sonore, tu savais bien que nous n'étions sur cette petite boule bleue qu'un seul peuple, enrichi à l'infini de nos différences...J'ai mal à l'incroyable bibliothèque qui vient de prendre feu avec ton départ...mais je crois que nous sommes nombreux à vouloir suivre encore longtemps les petits signes que tu as semés sur ta route, dans nos cerveaux et dans nos coeurs de ta voix chaude, rocailleuse de pyrénéen. Et puis, là-bas, derrière ces infinis nuages, je sais bien que tu as encore "en bretelle", accroché à ton épaule, ton magnétophone, et dans la poche latérale de ton pantalon large, la paire de ciseaux qui te permettront de nous envoyer les reportages de l'envoyé très spécial que tu as passé ta vie à être. J'avais tenu à faire ce documentaire sur toi en images, une hérésie pour celui qui disait avec humour que "la radio représentait un grand progrès sur la télévision parce qu'on avait enfin réussi à supprimer l'image"! L' Histoire, hélas, te donne raison...Mais finalement, je suis heureux aujourd'hui d'avoir pu filmer quelques morceaux de la plus belle bibliothèque du monde, celle que ton oreille a su capter partout sur la planète Terre. Bon voyage, Robert, on se revoie quand tu rentres de tes terres inconnues. J'ai hâte. Jean-Yves."

 
(1) Journaliste-producteur à France Inter de 1981 à 1994, à RFI depuis 94.

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