dimanche 26 mai 2013

Le temps de vivre…

Ce pourrait être le titre d'une émission de radio, de n'importe quelle radio, ou plutôt d'une radio qui elle même saurait prendre le temps de vivre. France Inter, France Musique ont su jusqu'à il n'y a pas encore si longtemps… Puis une certaine fureur, un certain tempo "moderne" ont fait disparaître des ondes une certaine lenteur, pour ne pas dire une nonchalance à laisser s'égrener le temps à la vitesse de l'invité, à la vitesse de ses chansons, de ses écrits ou de ses paroles. Ce "temps de vivre" existait sur les radios publiques, particulièrement à la fin des années 60 et jusqu'à la fin des années 70.  Pour des après-midis au long cours (1), où il faisait bon laisser "flâner ses oreilles".


Notre première "image" du pâtre grec (8)








Alors oui, il devait être bon de laisser "flâner ses oreilles", jeudi soir dernier sur France Inter qui pendant trois heures a rendu hommage à Georges Moustaki. Comme sait le faire la radio, la chaîne publique de Radio france a su bouleverser ses programmes habituels et, à la vitesse supersonique (2), proposer dès 20h, témoignages, archives, chansons du poète d'Alexandrie, qui dès l'enfance vénérait la vieillesse, la sagesse et, de fait, la lenteur pour ne pas dire la paresse. Et c'est, je crois, au titre de cette lenteur magnifique que Moustaki portait dans son corps, dans ses yeux et dans ses chansons, que je n'ai pas voulu "immédiatement" venir me souvenir de lui. J'avais besoin de laisser revenir les images, les sons, son visage, ses complicités musicales, ses amitiés, son phrasé mesuré avant d'écouter l'"après", en même temps si présent. Pas tout de suite s'il vous plaît, laissez-moi un temps de latence, un temps de réflexion, un temps de paix pour me faire à sa mort plus doucement.

Je savais inconsciemment que l'émission serait podcastable, alors je ne me suis pas inquiété, dimanche serait parfait pour t'écouter Georges. Vendredi matin, j'ai croisé Pascale (3) elle m'a dit, avec des sourires sincères dans les yeux et une belle émotion, qu'elle avait passé une très belle soirée. Je souriais, moi je passerai un bon dimanche. Et comme le dit si bien Philippe Meyer (4) au début de l'émission, Moustaki "a su admirablement transformer l'attente en un mode de vie". Tout est dit, ou presque, et me conforte dans mon choix d'écoute différée.

Dans cette émission autour de Didier Varrod (5), France Inter a montré le savoir-faire des équipes passionnées (6) qui courent "sur le fil" de l'Institut National de l'Audiovisuel (Ina), assemblent dans une très belle maïeutique les centaines de petits morceaux de verre épars qui composeront un très bel hommage. Cette façon de faire à l'intuition, au coup de cœur, aux tripes représente ce que la radio sait le mieux faire pour un événement sensible, ce qu'elle a souvent su faire, aussi bien pour les tragédies que, pour les "belles choses de la vie". Je l'écris avec une certaine forme du passé car le/les formatages d'aujourd'hui permettent difficilement la spontanéité qui sort du cadre, explose et respire en oubliant l'heure, le sacro-saint flash ou les annonceurs pour les radios privées.

Mais cet hommage que vient de nous faire vivre France Inter va-t-il demain s'instituer à chaque fois qu'un chanteur, un acteur, un artiste décédera ? Qui va choisir ? Pour quelle durée ? Aznavour six heures ? Sardou dix minutes ? Ferré une nuit ? Gréco ? Le Forestier ? C'est le coup de cœur d'une personne spécialisée qui décide ? Varrod ? Et puis bouleverser les programmes du soir, bravo (7) mais pourquoi, en plus, la demi-heure de "La marche de l'histoire" ? Pour exister face à la concurrence ? Pour surjouer le fait qu'Inter est plutôt très bonne spécialiste de la chanson ? Cette forme moderne de réaction à chaud, immédiate qui sait tout bousculer ne correspond-t-elle pas à une façon de notre temps qui ne prend plus le temps de "donner du temps au temps" ?

Et Moustaki qu'aurait-il dit de cette fulgurance de la réaction ? Dans la pétillance de ses yeux, derrière sa barbe, d'un sourire esquissé, il aurait laissé s'installer un long silence, il aurait même fermé les yeux. Puis sans presque bouger, il aurait pris sa guitare, posé deux accords et, de sa voix, même fatiguée, aurait commencé à murmurer "Nous prendrons le temps de vivre, d'être libre, mon amour…"

(1) Trois heures consécutives pour France Culture comme pour France Musique en semaine, trois heures et beaucoup pour les fins de semaine de "l'Oreille en coin" sur France Inter, trois heures le samedi après-midi, au début des années 80, pour "Le bon plaisir" sur France Culture,
(2) Georges Moustaki était décédé la nuit précédente,
(3) La dame qui m'a accompagné pour enregistrer les auditeurs-spectateurs du film de Nicolas Philibert, à Nantes le 19 mars 2013,
(4) Producteur à France Inter et à France Culture,
(5) Le sensible témoignage d'Isabelle Pasquier journaliste et celui de Maryse Friboulet, réalisatrice (entre autres des émissions de Jean-Louis Foulquier),
(6) Directeur de la musique à France Inter, producteur d'émissions sur la chanson, 
(7) En concertation avec les animateurs des émissions concernées je présume ?
(8) Cette année-là (en pleine révision du Bepc), "Le Métèque" rivalise avec "C'est extra" de Léo Ferré, difficile de réviser quand toutes les trois minutes il faut remettre le bras de l'électrophone au début du microsillon…

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