dimanche 16 septembre 2012

Jean Garretto (2)…







"C'est dimanche" Jean Garretto. J'ai toujours gardé depuis 1968 (1) l'Oreille en coin pour la radio, même quand vous avez changé de navire en 1990 (2). Comme Juliette Gréco, "Je hais les dimanches" mais avec l'Oreille j'ai revu la question. La semaine dernière (4 septembre) je parlais de vous avec Julien Delli Fiori (3) alors que trois Fipettes venaient, sur la scène du 106, d'interpréter avec moults clins d'œil à la joie, une chanson des années 30. Depuis que je fréquente cette Maison ronde, je trouvais toujours quelqu'un pour me parler de vous. Alors c'est une banalité de dire qu'une grande part de vous-même et de Pierre Codou habitent cette maison. J'y reviendrai dans mon billet de demain.

Vendredi dernier alors que je venais d'apprendre votre disparition, j'ai voulu appeler Guy Senaux, ingénieur du son à France Inter jusqu'à sa retraite en 2007. Et puis aussi Jacques Santamaria, scénariste et réalisateur audiovisuel, ancien directeur des programmes de France Inter de 1996 à 1999. Ces deux interviews ont été réalisés par téléphone.

Guy Senaux
Vous avez beaucoup côtoyé Jean Garretto au cours de votre carrière à la radio ?
Oui, dix-huit ans (4), toutes les quatre semaines (nous étions 4 ingénieurs du son, tournants) de TSF des origines à l'Oreille en coin. Avec Pierre Codou ils faisaient une équipe de grands patrons. Jean Garretto élégant, courtois, sans jamais produire un décibel plus haut que l'autre, droit et… bel homme.

Votre souvenir le plus touchant ?
Il se tenait toujours à droite du preneur de son, je revois son signe dans la vitre qui rythmait les ouvertures de micros aux moments opportuns. Jean Garretto était attentif au bon son. Grand professionnel, avant chaque direct, il vérifiait si tout fonctionnait, avec tous les techniciens : circuits audio et vidéo, démarrage des platines, vérification du conducteur de l'émission…

C'étaient quoi ses façons de faire ?
Pendant 10h30 de direct (au cours des trois sessions de fin de semaine), il y avait une très grande concentration en cabine. Et si quelque chose cafouillait il disait volontiers "Coco, qu'est-ce qui se passe ? " Au début de chaque session il imposait presque une minute de silence avant l'antenne. Tout le monde se regardait comme avant le départ d'une fusée. Je me revois, je m'essuie les mains pour ne pas glisser sur les pot's (5). Avec Pierre Codou ils étaient les seuls réalisateurs de la Maison ronde à pouvoir choisir leurs ingénieurs du son.

Avec l'équipe technique le courant passait bien ?
Codou et lui étaient très respectés par les techniciens. C'est la seule émission dans laquelle la "réalisation technique" était citée en tant que telle. Nous réalisions vraiment un travail d'équipe avec une exigence totale. Il fallait que tout soit lié et fluide. À la façon de la réalisation technique et artistique on peut reconnaître la "patte" du preneur de son.

Un autre souvenir ?
C'était la première de l'Oreille en coin du dimanche matin, en public en direct au studio 106. Pierre Codou venait de disparaître. Jean Garretto se retrouvait "seul" sans son alter-égo, pour un direct dans un studio qu'il ne connaissait pas. Cette émission a été réalisée par Jean de main de maître. Tout le monde a applaudi en cabine à la fin, ce qui ne se faisait jamais. On se croyait à Cap Canaveral, le décollage de la fusée s'était bien passé au millimètre près ! Et avec Jean, fait exceptionnel, nous nous sommes embrassés.

Son trait de caractère qui vous a le plus marqué ?
Il était extrêmement respectueux des personnes et avait un don pour dénicher les talents et les former à son diapason. Il était passionné par le son mais désarçonné par la technique. Il avait aussi le don, comme personne, de savoir équilibrer quatre heures d'antenne consécutives. Il savait parfaitement installer une couleur musicale et son choix des musiques ne relevait jamais du hasard ou de la facilité. On mettait un point d'honneur à caler les quatre tops de l'heure juste sur la fin d'une chanson. Quelle classe ! Total respect.



Pierre Codou et Jean Garretto

Jacques Santamaria
Votre souvenir de Jean Garretto ?
Nous sommes quelques uns à avoir reconnu Garretto et Codou comme nos maîtres. En ce qui me concerne ce que j'ai appris de l'art de la radio c'est à Garretto et Codou que je le dois. Ils ont été des inventeurs de forme, des inventeurs de fond qui ont révélé le fond. Ils avaient une technicité supérieure. Et par dessus tout un esprit et une âme. C'est par Garretto que la radio s'est révélée être un art, cela vient de s'achever avec sa mort. Son esprit hante encore la Maison de la radio. Quand nous nous croisions avec quelques créateurs de son époque nous nous disions toujours en réécoutant notre travail : "Est-ce que tu crois que Jean Garretto serait content de ça ?"

Ses qualités d'homme de radio ?
Il avait quelque chose d'inné. Il savait repérer avec un sixième sens, quand à l'avance l'auditeur pouvait s'ennuyer. Il disait "Il faut un disque" et il ne choisissait jamais n'importe lequel. Il avait su anticiper. Comme Truffaut disait "On a tous les droits sauf d'ennuyer le spectateur", Garretto l'appliquait à l'auditeur. C'était un extraordinaire metteur en scène. Il savait installer la bonne chose au bon moment.

Vous l'avez revu après son départ de la Maison de la radio ?
Oui, il y a quelques années nous étions dans un TGV qui nous ramenait d'Avignon et j'ai pris une grande leçon de radio. Nous avons passé tout le trajet à disserter sur la programmation musicale. Il avait expérimenté la chose suivante "Ne commencez jamais une émission par un disque en mode mineur, mais en mode majeur et finissez pareil, en mode majeur." Le mode majeur (en attaque et en fin) c'est pour que l'auditeur puisse, s'il s'agit d'une chanson, les fredonner. Ces chansons-là Garretto les appelait "Les fredonnantes" et il ajoutait "N'oubliez pas que nous sommes un peuple latin et en tant que tel les latins préfèrent reconnaître que connaître." La face B (d'un 45 tours) ou une nouveauté sont en mode mineur.

Il était plus qu'un réalisateur ?
Bien sûr il mettait en scène avec un esprit subtil de force et d'analyse. Il concevait les émissions comme du papier millimétré. Pour lui l'intensité était plus importante que le rythme. Le rythme c'est l'intensité. Garretto a fait plus que de la radio. Il en a fait un art. La radio ça se pense, ça s'écrit et ça se fait !

Merci à chacun de vous pour ces évocations-hommages à un très grand homme de radio. Dans mon billet de demain matin je reviendrai sur les hommages de Jean-Luc Hees, Daniel Mermet, Julien Delli Fiori, Fip et Denis Cheyssoux (6).

Il est 18h, c'est le moment d'écouter l'indicatif de l'Oreille en coin par Jim Wild Carson… la désannonce je me la fais dans ma tête.
(à suivre)

Demain troisième volet sur Jean Garretto…

(1) 1968, 1969, 1970, Garretto et Codou créent TSF qui deviendra "L'oreille en coin" qui s'installe dans la grille de France Inter, les samedi après-midi, dimanche matin, et dimanche après-midi jusqu'en 1990,
(2) Suite à un "différent" avec Pierre Bouteiller, devenu directeur des programmes, Jean Garretto reprendra l'Oreille en coin du dimanche matin, le dimanche sur Europe 1,
(3) Directeur de Fip,
(4) Et presque 2450 heures de direct,
(5) Les potentiomètres dit aussi les potars,
(6) Voir l'hommage de Mermet (pour le changement de cap de Guy Senaux )

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